Audrey Bargat-Noguères est ingénieure sûreté au sein de la centrale nucléaire EDF de Saint-Laurent, située à quasi égale distance entre Orléans et Blois.
Son métier ? Prendre des dispositions permettant de garantir la sûreté de la centrale et prévenir les incidents. Mais aussi évaluer l’état de sûreté des installations et garantir le respect des procédures. Des missions qu’elle mène dans un secteur particulièrement stratégique.
Le nucléaire fait parler de lui
Un secteur qui reprend des couleurs
Aujourd’hui en France, près des trois-quarts de la production d’électricité provient du parc nucléaire.
Pourtant, l’avenir de la filière nucléaire est régulièrement remis en question. Elle s’appuie pour convaincre sur la diminution des émissions de CO2, la sécurité d’approvisionnement et la maîtrise d’un savoir-faire technologique de pointe.
Focus sur la centrale de Saint-Laurent
Le site de Saint-Laurent compte deux réacteurs en exploitation de 950 MW. « Il s’agit en fait d’un écosystème à part entière où de nombreuses spécialités se côtoient » explique Audrey.
Il y a bien sûr les équipes en charge du pilotage des réacteurs. De même que les automaticiens, mécaniciens, électriciens, chimistes, logisticiens nucléaires, ingénieurs environnement, référents auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), informaticiens, infirmiers de santé au travail… Et les ingénieurs sûreté.
« Nous sommes un peu le gendarme du site ! Analyses du cadre réglementaire, contrôles de sûreté, mise à jour des règles internes : il s’agit par exemple d’intégrer les exigences associées aux nouveaux matériels mis en place sur l’installation dans nos référentiels locaux. Ce sont également des postes à part, avec une vision indépendante permettant d’apporter un regard complémentaire sur les installations. »
Le parcours d’une ingénieure déterminée : l ’énergie en toile de fond
Une histoire de passion et de transmission
Ingénieur sûreté, un métier exigeant et nécessitant une grande rigueur. Une vocation aussi pour Audrey qui s’intéresse depuis longtemps aux énergies vertes.
« Je suis devenue ingénieure parce que je me projetais dans le secteur énergétique.
Avec deux grands-pères et un père électriciens, c’est sans doute au départ une histoire de partage et de transmission. Puis, il y a eu la découverte des Sciences de l’ingénieur au lycée et la conviction que je ferai une école d’ingénieur. »
Le choix d’une formation généraliste
Déterminée, la jeune femme a naturellement suivi la dominante Énergie et environnement de l’EIGSI.
« Beaucoup de formations et de spécialisations sont en fait proposées dans le nucléaire. Cependant, être diplômée d’une école généraliste me permet de comprendre les problématiques les plus variées et d’interagir avec les différents métiers de la centrale. Ce regard global est fondamental. »
Après plusieurs stages dans le nucléaire, le solaire puis l’éolien, le constat est donc clair pour la jeune femme : elle se sent bien dans ce secteur riche d’opportunités.
Travailler dans le nucléaire
Diplômée de l’EIGSI en 2012 et après un bref passage dans le secteur de l’éolien, Audrey a été recrutée au sein de la centrale de Saint-Laurent en 2013.
« J’ai intégré la structure en tant que formatrice process. J’ai suivi une formation interne de deux ans sur le fonctionnement de la centrale. Des enseignements en partie théoriques, notamment autour des phénomènes physiques et de la neutronique. Mais une partie également très pratique. J’ai en effet travaillé sur un simulateur de salle de commande pour apprendre à piloter sur un faux réacteur. L’une de mes missions au début a d’ailleurs été de gérer la maintenance de ce simulateur ».
Ingénieure sûreté habilitée depuis 2020, la jeune femme s’est particulièrement intéressée à ce métier central de coordination globale.
« J’ai aussi perçu là l’opportunité d’exploiter toutes les compétences acquises durant la formation interne. C’est un métier qui demande de l’implication, de la précision et un vrai sens de l’engagement. ».
L’ingénieur sûreté nucléaire, garant du bon fonctionnement du site
Des permanences pour contrôler la sûreté des réacteurs
Cinq ingénieurs sûreté travaillent actuellement au sein de la centrale et se relaient pour des semaines d’astreinte (week-end et jours fériés inclus). Une mission essentielle pour effectuer toutes les vérifications nécessaires.
« Je m’apprête justement à débuter ma semaine d’astreinte », précise Audrey. « Au programme : une vérification quotidienne de la sûreté des réacteurs. J’effectue d’abord un travail préparatoire puis un passage sur le terrain. Vient ensuite le moment que l’on appelle confrontation avec le chef d’exploitation. Nous comparons alors nos évaluations. Un travail minutieux qui nous occupe en général de 6h le matin jusqu’à midi ».
Un environnement analysé à la loupe
Ce sont également des missions à mener dans un environnement particulièrement contraint et répondant à des normes sécuritaires strictes.
« Il y a bien sûr beaucoup de contrôles internes et des procédures qui peuvent être lourdes. On se base ainsi avant tout sur le fait que l’erreur est humaine et qu’il faut pouvoir maîtriser les risques. La mise à jour des règles internes nécessite par exemple plusieurs étapes de vérification avant la transmission à l’Autorité de sûreté nucléaire. Celle-ci est en un mot chargée de réglementer et de contrôler la sûreté nucléaire. »
Au-delà de cette vigilance réglementaire, certains points d’attention sont en outre amenés à évoluer avec le temps et les évènements. « De mon bureau, j’aperçois les groupes électrogènes hérités de l’accident de Fukushima. Ils sont installés dans de très hauts bâtiments, avec une protection en béton armé. Il s’agit surtout de matériel supplémentaire. Nous n’avons en définitive pas eu besoin de renforcer nos dispositifs sécuritaires qui sont déjà suffisamment aboutis. »
Un secteur qui se transforme : développement et modernisation
L’examen de passage des réacteurs
©EDF
Le gros enjeu de l’année au sein de la centrale de Saint-Laurent est la 4ème visite décennale dite VD4.
« Un évènement important pour les équipes du site. L’un de nos réacteurs « fête » son 40ème anniversaire.
A cette occasion, nous allons notamment faire une révision générale de l’installation. L’idée est d’examiner la conformité aux référentiels applicables et les effets du vieillissement.
Dans le même temps, le niveau de sûreté de l’installation est amélioré. On considère les meilleures pratiques disponibles, via des modifications matérielles et des évolutions documentaires. L’ASN se prononce ensuite sur la possibilité d’exploiter le réacteur pour 10 ans de plus. »
Une organisation d’ampleur est effectivement prévue dans ce cadre-là. Le réacteur est arrêté durant 6 mois le temps d’une révision générale.
« La technologie évolue et l’objectif est de proposer des nouveautés. Le retour d’expérience de Fukushima a d’ailleurs encouragé un certain nombre d’évolutions. La question des sources de refroidissement est par exemple cruciale. Des travaux de forage ont déjà été effectués au sein du site pour pouvoir puiser de l’eau dans les nappes phréatiques. Il nous reste désormais à établir le raccordement. »
Des installations mises à l’épreuve du temps
Beaucoup de travaux de prospection sont en cours pour envisager l’avenir. Actuellement, la plupart des centrales françaises sont dotées de réacteurs à eau pressurisée (REP). Néanmoins, cette technologie née aux États-Unis et d’abord employée pour la propulsion des sous-marins est vouée à disparaître. Comme le souligne Audrey, la vie d’une centrale peut poser question après 50 ans.
« Les besoins et exigences peuvent évoluer. Et de nombreuses pistes sont notamment à l’étude en matière de développement : par exemple les SMR (mini réacteurs) ou encore les EPR2, version modernisée des REP, utilisant des techniques plus sûres et efficaces. Une chose est sûre : le secteur du nucléaire est vivant. Autrement dit, il y a de nombreux champs d’investigation possibles et des solutions d’avenir à imaginer ».
Adopter un nouveau regard sur le nucléaire
© Simon Lambert
Le nucléaire a connu quelques déconvenues, en particulier depuis l’accident de Fukushima en 2011. Mais la filière a désormais recours à une communication efficace autour de ses faibles émissions de CO2.
« Nous travaillons plus précisément depuis 2 ans à déconstruire les idées reçues et à devenir des ambassadeurs de l’atome.
En effet, le nucléaire a une empreinte carbone très faible. Prenons le cas des panaches s’échappant des tours de réfrigération des centrales nucléaires. Ils ne sont pas dangereux ! Ce ne sont que des nuages de vapeur d’eau. Ce type d’énergie est en somme une opportunité, avec un réel impact au niveau environnemental. Sans parler de notre indépendance énergétique. »
La production d’électricité décarbonée est donc une priorité des prochaines décennies. Et un enjeu de taille dans le contexte actuel de guerre en Ukraine.
Pour répondre à la demande croissante en électricité, tout en réduisant la part d’énergies fossiles, le gouvernement français entend ainsi miser sur les énergies renouvelables et le nucléaire.
« Tellement de potentiel de développement dans le nucléaire ! C’est évoluer finalement dans un secteur dynamique, performant, qui sait se remettre en question et où l’on peut facilement s’épanouir professionnellement. »