Multiformes, partagées, autonomes et connectées : les mobilités sont en pleine mutation et amènent des réflexions stratégiques pour concevoir les innovations de demain, imaginer les nouveaux partages de l’espace dédié aux déplacements et renforcer l’attractivité des territoires.
Une dynamique multigenre qui impacte les métiers de l’ingénierie, fait bouger les lignes et suscite un intérêt croissant, notamment chez les ingénieures.
Alors que les transports restent le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre en France, avec plus de 30 % des émissions nationales, les mobilités décarbonées sont sans nul doute l’un des grands enjeux de la décennie. Point d’orgue de l’Accord de Paris, l’objectif est d’atteindre une neutralité carbone d’ici 2050. Un défi d’ampleur qui nécessite d’aligner les actions avec les ambitions. Mais plus encore, le secteur des transports doit aussi s’adapter à l’évolution de nos modes de vie et de nos comportements.
Décarbonation et transformation en action
Qu’est-ce qu’une mobilité durable ? Comment concilier efficacité énergétique, performance technologique et préoccupations écologiques ?
Miser sur les technologies innovantes
Electricité, hydrogène vert, biogaz, biocarburants, recours aux mobilités douces, sont autant de vecteurs prometteurs pouvant participer à la réduction de l’impact environnemental du secteur. Mais la route est encore longue.
Priorité gouvernementale, le plan d’investissement France 2030 prévoit une enveloppe de 4 milliards d’euros pour le développement des mobilités d’avenir.
Un programme ambitieux : fabrication locale de véhicules électriques et hybrides, production française d’hydrogène vert et même conception du premier avion bas carbone à horizon 2030.
Les industriels sont déjà à la manœuvre. Airbus s’associe à CFM International, coentreprise constituée de Safran et General Electric, pour développer un démonstrateur de système de propulsion à hydrogène qui sera testé sur un A380. De son côté, Pratt & Whitney a été sélectionné par le ministère américain de l’énergie pour élaborer un nouveau système de propulsion à l’hydrogène liquide.
Le sujet des mobilités est au centre de toutes les attentions pour faire émerger de nouvelles manières de concevoir les déplacements et des systèmes de transports optimisés et durables.
Le secteur ferroviaire a le vent en poupe
Secteur en pleine transformation, le rail est par exemple, selon l’Union européenne, le seul mode de transport qui a su considérablement réduire ses émissions depuis 30 ans. Une dynamique de mobilité décarbonée saluée en 2021, désignée année européenne du rail par la Commission européenne.
Yasmine Kameli (EIGSI 2020), ingénieure méthode au sein du groupe Alstom à Copenhague, partage cet enthousiasme pour le potentiel de développement du transport ferroviaire.
« J’ai l’opportunité de contribuer à l’installation d’un système de gestion et de contrôle du trafic unique en Europe. L’ERTMS (European Rail Traffic Management System) permet notamment d’améliorer l’interopérabilité sur le territoire européen, d’accroître les performances du réseau ferré, d’harmoniser la signalisation, d’augmenter la fréquence des trains, de garantir une sécurité maximale, tout en réalisant une économie de coûts, de maintenance et d’énergie.
Mon travail d’ingénieure méthode m’amène notamment à étudier les procédures d’installation et d’intégration des systèmes dans des trains datant souvent des années 1950 voire 1910. C’est tout simplement passionnant de s’investir au quotidien dans un environnement à fort impact technologique et sociétal. J’ai l’habitude de voyager régulièrement en train et je perçois ainsi pleinement l’utilité de mes missions au service des usagers. »
Yasmine a développé très tôt un réel intérêt pour le secteur des transports. Elle a découvert l’industrie automobile, lors de stages au sein de Faurecia puis de BMW, en Allemagne. « Une expérience à l’international très riche qui m’a permis de prendre confiance en moi, d’affirmer mes ambitions et de commencer à construire mon parcours d’ingénieure. Si je devais retourner à l’avenir dans l’univers de l’automobile, ce serait de préférence pour travailler sur des projets d’électromobilité. Peut-être plus tard. Mais pour le moment, je souhaite continuer à m’investir au service des trains du futur. »
Ferrocampus, pôle d’excellence ferroviaire
En France aussi, d’ambitieuses initiatives se dessinent autour du rail, comme le projet Ferrocampus lancé en 2020, à Saintes. Pôle technologique, centre de recherche, campus de formations, il s’agit de développer tout un écosystème d’activités consacré au secteur ferroviaire.
« Ferrocampus répond à de forts enjeux stratégiques, économiques et sociétaux pour encourager la recherche et l’innovation, revitaliser le système ferroviaire avec de nouveaux modes de motorisation et d’autonomisation, développer les maillages territoriaux et proposer des formations spécialisées. L’EIGSI est très fière de faire partie des acteurs fondateurs du projet, aux côtés de la Région Nouvelle-Aquitaine, avec une mission plus particulièrement dédiée aux questions de formation, d’emploi et de compétences », précise Frédéric Thivet, directeur général de l’EIGSI.
Le secteur des transports, une manne d’opportunités pour les ingénieures et ingénieurs
Les mobilités attirent toujours plus de talents dans l’ingénierie. La promesse d’évoluer dans un univers en profonde mutation et de contribuer à la construction des systèmes de transports de demain.
Trouver sa voie dans les mobilités urbaines
Diplômée de l’EIGSI en 2018 et ancienne sportive de haut niveau en planche à voile, Stéphanie Perret a intégré Marcel, une entreprise française de réservation de voitures avec chauffeur, située en Île-de-France. Un choix évident pour la jeune femme qui cherchait à concilier sa sensibilité aux enjeux écologiques et son attrait pour l’environnement agile des startups.
« Recrutée en tant que supply manager pour accompagner le lancement d’une nouvelle gamme de véhicules 100 % électriques et hybrides, j’ai apprécié de pouvoir faire partie d’une aventure collective pour proposer des solutions de mobilité urbaine et durable. J’ai retrouvé au sein de l’entreprise, des valeurs fortes d’engagement, de travail, de solidarité et de dépassement de soi, qui ont jalonné mon parcours jusque-là. »
Portée par la confiance de son employeur, Stéphanie a évolué vers un poste de data analyst puis de head of data. Un repositionnement qui lui a permis de se former et de se perfectionner techniquement. Et plus encore, une nouvelle responsabilité qui l’a incitée à développer une réflexion stratégique et à prendre davantage de hauteur sur son métier.
Ingénieures et engagées
Selon Frédéric Thivet, « Privilégier une vision systémique permet toujours de prendre du recul. C’est d’ailleurs une qualité particulièrement appréciable chez les femmes ingénieures qui démontrent très souvent cette vision systémique et cette aptitude à analyser les sujets dans leur globalité. En réalité, les connaissances techniques sont nécessaires mais ne suffisent pas. La méthode, la démarche, le sens de l’analyse, mais aussi les valeurs et l’engagement, sont essentiels pour les ingénieurs de demain ».
« Considérer la vue d’ensemble d’un projet est effectivement très important pour moi, témoigne Yasmine Kameli. Je peux ressentir le besoin de davantage structurer les choses, de vouloir réorienter les discussions et dézoomer certains points d’attention. Je me suis aussi déjà identifiée à certaines collègues ingénieures, à leur façon de se positionner au sein d’un groupe très majoritairement masculin. Ce que j’espère pour la suite ? Pouvoir évoluer vers un poste d’ingénieur mécanique pour aborder toute la phase de conception. C’est un métier auquel je pense depuis longtemps.»
Pas de mobilité sans sobriété
Au cœur de ces nécessaires transformations des mobilités, c’est aussi la notion de sobriété qui souvent s’impose et des réflexions autour de l’intermodalité et de la rationalisation des usages. « Avant d’imaginer de nouveaux systèmes, il s’agit de considérer la limitation des dépenses énergétiques, des consommations et des flux physiques et humains », mentionne le dirigeant de l’EIGSI. « La question de l’impact sur l’environnement doit être à la base de toutes nos réflexions. C’est en ligne avec les valeurs de l’école, les engagements de nos apprenants et la manière dont nous souhaitons envisager l’avenir. »
Quels sont les besoins en matière de déplacements et de flux ? Quelles solutions mettre en œuvre pour appliquer une posture de sobriété à notre logique de déplacements ? Qu’est ce qui sous-tend nos réflexions et actions ?
« L’EIGSI travaille sur ces sujets depuis plusieurs années, notamment sur des axes relatifs à l’organisation des systèmes de transports et sur les interconnexions. La logistique et le transport de marchandises invitent notamment à des réflexions sur l’optimisation des modes de livraison et des espaces de stockage en exploitant par exemple des bâtiments urbains temporairement vacants. De vraies études sont menées pour rendre ces systèmes compatibles, pour les développer de manière coordonnée, cohérente et collaborative. »
Agir sur le terrain : Vers un changement de comportements
Avec un système de mobilité et des normes sociales longtemps structurés autour des énergies fossiles et de la voiture à moteur thermique, la nécessité d’évolution nous invite à repenser également notre organisation sociétale et nos déplacements.
Pour Frédéric Thivet, comprendre le sujet des mobilités durables, implique la prise en compte de l’ensemble de ses composantes : les enjeux environnementaux, la dimension économique et l’aspect sociétal. « Il faut s’intéresser aux usages avant de réfléchir au fonctionnement d’un système ou d’un outil. C’est ce qui guide nos actions au sein de l’EIGSI pour former des ingénieurs responsables, soucieux de l’utilité et de l’impact des activités menées ou des produits développés.»
« C’est vrai qu’à travers le sujet des mobilités, on pense instinctivement aux émissions de gaz à effet de serre », mentionne Tatiana Graindorge, enseignante-chercheuse à l’EIGSI. « Pourtant, qui dit enjeu de société, dit implication des citoyens. L’objectif est de parvenir à délivrer des solutions satisfaisantes avec et pour les usagers ! C’est la vocation d’un programme tel qu’Agremob, qui questionne les habitudes de mobilité et le comportement des citoyens ».
Lancé il y a près de trois ans par un ensemble d’acteurs du territoire, dont la Communauté d’agglomération de La Rochelle et l’EIGSI, le projet Agremob permet de développer de nouveaux services de transports et de créer des incitations innovantes en faveur de la mobilité durable.
« Cet accompagnement au changement de la mobilité s’accompagne de la mise en œuvre de la Coopérative Carbone, évaluant et valorisant les réductions de consommation énergétique. Un projet fondé dans le cadre du programme La Rochelle Zéro Carbone », explique Stéphanie Nair, Responsable Services à la Mobilité et Equipement au sein de la Communauté d’Agglomération de La Rochelle
La Rochelle, territoire d’innovation
« La ville de La Rochelle est un lieu propice à l’innovation en matière de mobilités. N’oublions pas que la mise en place des vélos en libre-service dans la ville date de 1976 ! » précise Frédéric Thivet.
Place aux expérimentations locales
Premières voitures électriques en libre-service puis inauguration d’une journée sans voiture dans les années 1990, expérimentation de véhicules autonomes en milieu urbain avec le projet Citymobil depuis la fin des années 2000, expérimentation d’un bus de mer propulsé à l’hydrogène en milieu marin en 2018, aménagement des bords de la gare en un ensemble multimodal pour encourager l’utilisation des modes de transports alternatifs à la voiture : le territoire foisonne d’initiatives.
Un constat partagé par Stéphanie Nair. « Les expérimentations locales permettent de façonner les solutions et mobilités de demain. Citymobil est un projet européen de recherche et de développement que nous avons piloté, et portant sur l’intégration des systèmes de transport automatisés dans un environnement urbain. Partenaire du projet, l’EIGSI a contribué à l’exploitation, les études de consommation d’énergie et l’observation des comportements des usagers. »
« Des expérimentations inédites en milieu ouvert, en interaction avec des usagers, qui ont permis de faire évoluer la réglementation française », ajoute Tatiana Graindorge.
Un objectif zéro carbone
Et si La Rochelle devenait le premier territoire urbain littoral français « zéro carbone » ? C’est en tout cas l’ambition de la Communauté d’agglomération de La Rochelle, du Grand Port Maritime, de l’Université, de la Ville de La Rochelle et d’Atlantech, en partenariat avec une centaine d’acteurs engagés comme l’EIGSI.
« Des résultats que l’on ne pourra atteindre qu’avec la réduction de plus de 70 % des émissions carbone liées à la mobilité », expose Stéphanie Nair. « La mise en œuvre concrète se traduit bien évidemment dans les politiques publiques, avec une volonté forte d’impulsion et de dynamique collective au sein du territoire. L’implication des citoyens dans les actions menées et les processus de décision, l’accompagnement aux changements des comportements sont autant d’aspects essentiels de la démarche. Tout le monde peut être acteur dans ses actes personnels ou professionnels : la collectivité, les étudiants, les travailleurs, les habitants, mais aussi les touristes ».
Pour des mobilités responsables, connectées et durables, l’ensemble des acteurs concernés, entreprises privées et publiques, associations, société civile, ont désormais un rôle à jouer.
« La notion de durabilité est essentielle pour évaluer l’impact d’un système développé et son utilité globale pour la société », conclut Frédéric Thivet. « Cette démarche fait partie intégrante de nos missions d’ingénierie et donne du sens à nos actions. Nul doute que les femmes ingénieures ont beaucoup à apporter dans ce domaine ».