Armelle Hubault est une ingénieure EIGSI diplômée en 2003. Mais elle est surtout Spacecraft Operations Engineer à l’European Space Agency (ESA), impliquée dans le projet Rosetta pendant plus de 10 ans ! Rochelaise, Armelle a rejoint l’EIGSI, école d’ingénieurs généralistes, après le bac en 1998. En 4ème année, elle a effectué un échange universitaire de trois mois au sein de la HochSchule de Darmstadt, partenaire historique de l’école depuis plus de 20 ans, puis un parcours bi-diplômant dans le même établissement l’année suivante.
Armelle a bien voulu répondre à nos questions.
Votre expérience Rosetta est un parcours incroyable. Qu’est-ce qui selon vous a été l’élément clé qui vous a lancé dans cette aventure ?
Je pense qu’il y a eu 3 éléments-clefs. Le premier a été ma passion pour l’exploration spatiale. Depuis toujours c’est un sujet qui m’a passionnée – tant la littérature de science-fiction que les développements scientifiques et les progrès en astronomie.
Ensuite il y a eu un élément de chance et de hasard, dans le sens où j’ai choisi de réaliser mon stage Erasmus justement dans une ville où l’ESA avait l’un de ses centre principaux (ce dont je n’avais aucune idée).
Enfin il y a eu le fait que j’ai décidé de soumettre une candidature, sans vraiment espérer que quelque chose en sorte.
Le profil généraliste et la formation « Système » sont idéaux pour les opérations, en particulier pour un jeune ingénieur, car un satellite est un système complexe dont il faut pouvoir visualiser le fonctionnement pour en obtenir des données de qualité et garantir sa sécurité.
Pendant toutes ces années sur le projet Rosetta, quels ont été les défis scientifiques les plus intéressants à relever ? Ceux qui vous ont le plus marqué ?
Au niveau scientifique, je pense que l’un des défis les plus intéressants a été de créer une mission et des instruments capables d’analyser un corps dont on ne connaissait rien. Ni sa taille, ni sa masse, ni sa forme, donc ni sa densité ni son champ gravitationnel. Sa composition, sa dureté étaient aussi inconnues, ainsi que sa température, son albédo, la densité de sa chevelure (atmosphère)….
Nous n’avons eu que 4 mois environ après notre arrivée pour donner à tous ces paramètres des valeurs crédibles, suffisamment exactes pour permettre de choisir le lieu d’atterrissage de Philae et construire la trajectoire qui nous y amènerait. Pour référence, il faut des années pour choisir le point d’atterrissage d’une sonde martienne, alors que Mars est la planète que nous connaissons le mieux après la Terre !
L’un des prochains défis consiste à mettre un sens à l’immense moisson de données que nous avons acquises au cours des 2 dernières années. Les scientifiques estiment qu’il leur faudra au moins 20 ans pour analyser toutes les données de Rosetta. Ils nous ont déjà annoncé que leur but principal avait été atteint : ils ont la preuve que la plupart de leurs théories sur les comètes sont fausses… et les moyens d’en développer de nouvelles !
Qu’est-ce que vous avez appris de plus important par le biais de ce projet ?
J’ai appris que nous sommes capables de rêver les projets les plus grandioses et de les réussir si nous travaillons ensemble. L’équipe Rosetta est immense. Nous n’étions que 7 dans l’équipe de contrôle, mais à cela il faut ajouter nos collègues de la dynamique de vol et de la navigation, les experts chargés de la planification des observations scientifiques, les équipes qui ont construit et opéré les instruments, les collègues qui s’occupent du contrôle des stations-sol sans qui aucun contact n’est possible… Cette équipe rassemblait des dizaines de nationalités, de cultures, d’expériences… c’est cette richesse qui nous a permis de relever tous les challenges et de nous adapter à toutes les situations.
Et la suite, l’après Rosetta, c’est quoi ?
En ce qui me concerne j’ai maintenant rejoint la mission Cluster-II, 4 satellites qui volent autour de la Terre en formation sur une orbite très elliptique, et qui observent en 4D les interactions entre le vent solaire et la magnétosphère terrestre. C’est une « vieille » mission puisque le lancement date de 2000, après un premier lancement raté en 1996 (la première fusée Ariane 5 avait explosé au lancement, détruisant les 4 satellites initiaux). Cette mission radicalement différente de Rosetta présente des challenges nouveaux et particulièrement intéressants. En effet, ces « vieux » satellites ont une autonomie comparativement très réduite et plusieurs unités endommagées à bord qui forcent l’équipe de contrôle à être particulièrement innovante du point de vue des opérations. L’automatisation du segment-sol en particulier est le point clef en ce moment.
Pour ce qui est de l’ESA, la mission Exomars doit réaliser le largage de son atterrisseur et son insertion autour de Mars la semaine prochaine. Ce sont 2 activités particulièrement critiques et qui présentent de grands risques pour la mission.
Sinon de nouvelles missions ambitieuses sont aussi en phase finale de développement comme Bepi-Colombo (exploration de Mercure) ou Solo (observation du Soleil), sans parler de l’effort continu dans l’observation de la Terre grâce notamment au programme Sentinel.